SE PEUT ÉTENDRE SUR LES GRÈVES

Photographies numériques, travail en cours. Projet soutenu par Surfrider Foundation Europe dans le cadre du projet Aleascapes.

Article consacré à cette série sur le site de l’atelier KLIMA.

Le titre de cette série photographique a une origine juridique lointaine. L’ordonnance de Colbert sur la Marine d’août 1681 définit le domaine public maritime de la manière suivante : « Sera réputé bord et rivage de la mer tout ce qu’elle couvre et découvre pendant les nouvelles et pleines lunes, et jusqu’où le grand flot de mars se peut étendre sur les grèves »*. 

Le caractère mouvant de cette définition est étonnant. Le droit, qui exècre pourtant l’instabilité, crée ici une catégorie qui embrasse l’incertitude, pour s’adapter à un objet insaisissable.

Or, l’indécidabilité de ces paysages est amenée à s’accroître sous l’effet du réchauffement climatique. Les épisodes de submersion, habituels et réguliers en hiver, voient leur amplitude et leur récurrence augmenter tendanciellement. Ces phénomènes renforcent l’érosion des falaises et des dunes ; bientôt des inondations touchent les équipements publics et les habitations situés à proximité, conduisant à leur abandon ou à leur déplacement.

Ces paysages sont aussi, par la force des choses, rétifs aux temporalités humaines, car sujets à des situations de ruptures d’échelles, où le local et le global se téléscopent. Paradoxalement, ils sont aussi les lieux les plus attractifs du territoire, ceux où la spéculation foncière est la plus délirante, et qui constituent la manne des régions à économie résidentielle ou touristique.

Les images de cette série photographique documentent les gestes d’adaptation à la montée du niveau des océans et aux effets accrus des tempêtes sur le trait de côte, mesures qui oscillent entre le titanesque et le dérisoire. Les points de vue sont choisis en lien avec cette vision anthropocentrique, aussi vaine que touchante, d’un paysage que l’on pourrait soigner comme un organe déficient pour le rétablir dans un état idéal.

Elles révèlent aussi une certaine gestuelle paysagère agrégeant tant bien que mal menus bricolages et travaux herculéens, dans l’improvisation d’une réponse locale aux déséquilibres globaux.

La précarité de ces espaces est ici arpentée comme un terrain poétique. Ils sont comme en état de frontière permanente, l’extrémité fragile et symbolique du territoire habité…

* Article premier du titre VII du livre IV de l’ordonnance d’août 1681

G. Bonnel