Exposition aux archives départementales d’Ille-et-Vilaine à Rennes, du 15 mars au 26 mai 2023, 40 photographies couleur, impressions pigmentaires sur papier Hahnemühle photo Rag Baryta. Production : laboratoire PHOTON à Toulouse.
Texte de présentation et feuille de salle
Les photographies présentées ici sont issues de l’Observatoire photographique des paysages d’Ille-et-Vilaine débuté en 2018. Cette démarche, pratiquée en France depuis les années 1990, consiste pour une collectivité à demander à un artiste photographe de construire une vision du territoire grâce à un ensemble de prises
de vue. La conciliation du regard subjectif de l’auteur avec celui des acteurs publics du territoire fait toute la richesse de cette démarche. Le photographe y travaille à partir d’une matrice hybride, qui réunit sans les opposer émotions et connaissances, perceptions sensorielles immédiates et savoirs acquis auprès des experts du territoire.
La matière essentielle de cette démarche est le temps. Car l’enquête visuelle initiale réalisée par le photographe est projetée vers l’avenir, au moyen d’une rephotographie des points de vue à l’identique et à intervalle régulier. Révélant l’évolution du paysage, les séries ainsi produites viennent nourrir
une sorte d’infra-cinéma, enchaînant les images non pas 24 fois par seconde mais une fois tous les trois ans, montrant des phénomènes trop lents pour être perçus à l’œil nu.
Pourtant, ce n’est pas sous la forme de séries qui verraient se succéder les paysages bretilliens photographiés en 2018 puis en 2022, que ce travail est présenté ici. C’est bien plutôt dans une réflexion sur le pouvoir
de la photographie que vous êtes invités à vous laisser emmener.
Comme le soulignait Roland Barthes dans La Chambre claire :« Quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photographie est toujours invisible ». En effet, en regardant une photographie de paysage il est probable que vous soyez d’abord absorbé par cette pensée : voilà un paysage qui a existé. Ce constat sidère le spectateur et annihile son attention sur l’image elle même. Ce qui constitue la photographie, sa forme, ses partis pris esthétiques, le point de vue qu’elle traduit, sa grammaire propre… semblent devenus comme une « enveloppe transparente et légère » que l’effet de réalité a submergé avec la force de son évidence.
Les images présentées ici bousculent un peu cet a priori qui nous fait tenir le référent vraisemblable de l’image pour la réalité elle-même. Car il ne faut pas s’y tromper, une photographie de paysage ne montre jamais le paysage en soi, mais tel que reformulé par le photographe à partir de sa perception de la réalité. Lors de cette opération, les images se chargent au passage d’une vertu critique et politique.
Le parcours qui vous est proposé ambitionne de rendre ce geste photographique palpable, en présentant plusieurs dispositifs qui recomposent le corpus de l’observatoire photographique. Chacun de ces dispositifs est à vivre comme une expérience visuelle spécifique qui souligne le pouvoir des images : voir un panoptique des formes du bocage, comparer les états successifs d’un même lieu, contempler un point de vue en s’y retrouvant soi-même mis en abîme, évaluer plusieurs actions ayant un effet sur le paysage, prendre conscience de la standardisation des pratiques de consommation du paysage et de leurs effets, voir simultanément dans une même image le passé et le présent…
Dans ce voyage visuel se dévoilent ces « paysages imminents », saisis dans un moment de bascule, et qui ouvrent un espace de discussion. Le visiteur l’enrichira de sa propre vision, pour appréhender visuellement la complexité formelle du bocage, percevoir les excès d’une consommation de masse du paysage et son éventuelle résilience, ou encore toucher des yeux les actions qui modifient durablement la substance du paysage…
G. Bonnel