Exposition à l’Auberge des Dauphins, maison de site de la forêt de Saoû, du 7 mai au 6 novembre 2022, 6 photographies couleur, impressions pigmentaires sur papier Hahnemüle photo Rag Baryta. Production : laboratoire PHOTON à Toulouse.
Texte de présentation
Les photographies présentées ici sont issues des dix premières années de l’observatoire photographique du paysage de la forêt de Saoû, commencé en 2013. Leur matière première, au-delà de ce qu’elles disent du paysage et de la place que l’être humain y tient, est d’abord le temps. En 1889, le médecin Etienne-Jules Marey recourait pour la première fois à la chronophotographie pour dévoiler des mouvements anatomiques trop rapides pour être perçus à l’œil nu : un pélican en vol, un cavalier sur un cheval blanc, un sauteur à la perche… Cette inlassable fascination pour l’invisible est également à l’origine des démarches d’observatoires photographiques. Les séries d’images, qui sont une sorte d’infra-cinéma, s’enchaînant non pas 24 fois pas seconde mais une fois tous les deux ans, révèlent des évolutions du paysage qui sont, cette fois, trop lentes pour être perçues à l’œil nu…
Pourtant, ce n’est pas sous la forme d’une série diachronique, qui verrait se succéder des paysages photographiés année après année, que cette temporalité est présentée ici. Les images ont subi un traitement particulier, et leur matière temporelle y est confrontée avec la caractéristique la plus saillante du medium photographique, à savoir le puissant effet de réalité qu’il exerce.
Pour Roland Barthes « Quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible : ce n’est pas elle qu’on voit ». On voit d’abord en effet son référent, ce qu’elle représente, et non la façon dont elle le fait. Ainsi, en voyant une photographie de paysage, l’observateur se dit d’abord : « ce paysage a existé ». Ce constat engloutit et annihile tout à la fois le regard du spectateur. La photographie en elle-même, sa forme, ses partis pris esthétiques, sa grammaire et son langage propres… semblent comme une enveloppe « transparente et légère » que l’effet de réalité a submergé avec la force de son évidence.
Cet a priori, qui nous fait tenir le référent vraisemblable de l’image pour la réalité elle-même, est ici poussé à l’extrême pour tromper quelque peu le spectateur. Car les images, ces « blocs d’espace-temps » que Gille Deleuze voyait dans les tableaux, ont d’abord été collisionnées entre elles, comme des protons dans un accélérateur de particules. De cette désintégration résulte une image asynchrone, qui fait coexister artificiellement des séquence temporelles disjointes.
L’effet de réalité de la photographie y survit tant bien que mal, et les images, suscitant toujours ce sentiment d’évidence, tiennent encore debout. Elles sembleraient même y gagner un nouveau pouvoir, plus illusoire encore, celui d’embrasser d’un même regard le passé et le présent…
G. Bonnel